Du 29 septembre au 02 Octobre 2019
Après un séjour au Maroc exceptionnel, il est temps de descendre vers les Canaries et sa première île, l’ile de la Graciosa, au Nord de l’archipel.
Cette navigation n’est pas anodine car elle représente, pour nous, notre plus grosse navigation, 450 miles avec 4 jours en mer dont trois nuits à assurer les quarts.
Après avoir regardé la météo, qui s’annonce correcte avec 20-25 nœuds au portant, et une houle de 1m60, confirmée par notre routeur, nous allons voir le port de Rabat pour l’autorisation de sortie. L’accord est donné, la faible houle permet de sortir. Nous accomplissons les formalités de sortie auprès de la police et des douanes et faisons les pleins de gasoil.
Il est 15h30 quand le pilote nous accompagne dimanche 29 septembre, pour nous guider dans l’étroit chenal de l’entrée du port de Rabat.
30 minutes plus tard, nous sommes lâchés en mer.
Première journée tranquille
Contre tout attente, les conditions de vent, le premier jour sont très molles (6-8 nœuds de vent max)
Comme nous ne sommes pas pressés, nous avançons tranquillement sous voiles. A la nuit tombée, le vent chute encore…
Nous évoluons toute la nuit avec les voiles ou au moteur. Je prends le quart de 20 heures à 1h du mat et Geneviève le suivant. Le trafic est quasi nul excepté le passage de quelques cargos qui descendent sur l’Afrique.
Les premières 24 heures sont très poussives avec seulement 100 miles de parcourus.
Deuxième jour et montée en puissance
Vers 18 heures, le vent se lève oscillant toute la nuit entre 22 et 27 nœuds. Nous avions pris un ris dans la grande voile par mesure de sécurité et réduit notre génois de moitié. Bien nous en a pris, car notre vitesse est constamment entre 8 et 13 nœuds dans les surfs.
Dans la journée, nous régulons notre allure en fonction de la force du vent, renvoyant toute la voile ou en la réduisant.
Ces deuxièmes 24 Heures auront donc été performantes avec 210 miles parcourus, ce qui est pas mal quand même.
Nous allons bientôt commencer notre troisième nuit en mer. Vers 19H30 nous assistons à un magnifique coucher de soleil. Toujours par précaution nous prenons un premier ris !
La fatigue commence à se faire sentir, mais nous devons rester vigilent car nous croisons de près (moins de 800 mètres) des cargos qui sortent de nulle part. Cette nuit comme la deuxième nuit est agitée et le vent fort oscillant entre 28 et 38 nœuds. La vitesse est trop élevée, dans une nuit noire quasi sans lune (début du premier croissant), nous évoluons constamment au dessus de 10 nœuds.
Les chocs des vagues contre les coques sont forts, les surfs dans l’inconnu sont stressants et les vagues sont de plus en plus hautes. Honnêtement, je ne prends aucun plaisir, m’efforçant de garder mon sang froid.
Un surf à 15,9 nœuds
Avec un ris dans la GV, et un bout de torchon devant, le bateau file et nous battons au passage et sans le vouloir notre record personnel avec 15,9 nœuds.
Vers 5 heures du mat nous devons prendre un deuxième ris, mais nous ne pouvons pas nous mettre face au vent. Les vagues sont importantes (estimées à 4 mètres) et le demi tour pour se mettre face au vent dans ces conditions est particulièrement dangereux.
Pour la première fois, nous prenons un ris au portant. Nous centrons le chariot de grand voile, bordons à fond l’écoute et affalons la voile, et remettons le mât rotatif dans l’axe. L’effort est important car le vent plaque la voile dans les haubans mais au bout de 10 minutes, le deuxième ris est pris et nous naviguons toujours aussi rapidement mais avec beaucoup moins d’à-coups car Boomerang est mieux équilibré.
Cette deuxième nuit, nous aura quand même épuisés, nous obligeant à une vigilance de tout instant. Le lever du soleil est un instant de réconfort et de soulagement ! Nous commençons à nous habituer au vent fort et aux mouvements brusques du bateau car nous sommes plein vent arrière à 150° du vent apparent.
La dernière journée se passe heureusement plus calmement. Nous avons encore 20 nœuds de vent, mais la sensation, du coup, est celle de se trainer. Nous sommes à une trentaine de miles des Canaries, une arrivée de nuit semble probable ce qui me stresse un peu au vue du passage étroit et venté qui nous attend entre Lanzarote et Graciosa pour rejoindre le mouillage de la Playa Francesca.
Une visite d’une cinquantaine de dauphins pendant au moins une heure, nous réchauffe les coeurs. Nous sommes précisément à la remontée des fonds qui passent de -2000 mètres à 150 mètres environ. Certaines vagues font au moins le double de la vague moyenne.
Quand soudain !
Comment friser la correctionnelle pour une pièce à 2 francs 6 sous !
Quand soudain Geneviève me crie ! La bôme est dans le hauban !
Le bout en dynema qui tient les poulies d’écoute de grande voile a cassé et la bôme est allée se mettre dans le hauban. La grande voile est hors contrôle…
Le fautif
Grand moment de solitude …
Je décide d’allumer les moteurs, de rouler le génois, de faire demi tour pour ramener la bôme au centre du bateau, afin de pouvoir la fixer en vue de l’affaler.
Les instructions sont données.
Le temps de regarder si une vague plus haute que les autres n’arrive pas, nous nous mettons face au vent, engageons le pilote automatique Jack, fixons la bôme sur l’échelle et la posons sur le bimini. Je rejoins Geneviève en pieds de mat pour l’affaler correctement. La manœuvre prends quelques minutes et nous faisons l’ascenseur avec la houle en pleine face. Alors que je rejoins mon poste de pilotage pour reprendre la barre, j’hurle à Geneviève restée en pied de mât pour lover la drisse : « ATTENTION ! »
Une vague énorme de 4-5 mètres se dresse devant nous ; je mets plein gaz pour escalader cette montagne en espérant que Boomerang 2 franchisse la crête. Dans une explosion d’embruns, le bateau retombe derrière, Geneviève est toujours au pieds de mat ouf ! , je regarde les vagues face à moi et engage le demi tour.
Nous filons maintenant dans le bon sens, groggis nous restons bouche bé devant la catastrophe que nous avons évitée. Si le cata n’avait pas franchi la crête ….. mais il l’a franchi, donc je ne raconterais jamais la suite et tant mieux.
Les enfants ont à peine vécu le moment, tranquilles dans le roof.
Désolé je n’ai pas eu le temps de prendre une photo 😂
Nous nous remettons petit à petit de cet épisode et préparons déjà l’arrivée sur la Graciosa.
Nous embouquons de nuit ce passage étroit entre les deux îles, en serrant les falaises de 300 mètres sur notre bâbord car il y a plus de profondeur de ce côté. A noter que la houle pénètre dans ce passage mais diminue au fur et à mesure de notre avancée.
Nous contournons une pointe après le port de Caleta de Sebo et observons les feux de mouillage des quelques 15 bateaux présents au mouillage de la Playa Francesca.
Coup de projecteur, nous mettons 45 mètres de chaine dans 10 mètres d’eau…
Je coupe les moteurs, prends une grande respiration et contemple notre bonne étoile.
Billet d’humeur de Stéphane
J’ai toujours dit que je n’aimais pas ces grandes traversées, ces moments parfois anxiogènes, souvent longs, et désagréables, la nuit particulièrement quand les conditions se durcissent. L’arrivée dans un port ou au mouillage est toujours en ce qui me concerne, un grand moment de soulagement.
Je préfère largement les découvertes des lieux, les rencontres, les moments de convivialité et les petites navigations inter-îles.
Je pense que l’homme et plus particulièrement ma personne ne sont pas faites pour vivre sur l’eau, et qu’il doit constamment s’adapter. En revanche comme à l’époque du rallye raid, ce voyage me permet de trouver et de repousser encore et encore mes limites, d’acquérir plus d’expériences nautiques, et d’entretenir cette humilité face aux éléments. Le sang froid est une valeur à développer et à conserver pour vivre ensuite les bons moments car la frontière entre la bonne et la mauvaise, voir la très mauvaise expérience, est mince.
Comme disent les arabes : Inchallah !
Vue au Réveil sur un petit volcan mais cà c’est la suite de l’aventure …
Capsule technique météorologique
Les fichiers météo dans ces parages peuvent être sous estimés, même les Arpèges de Météo France. Après échange avec notre routeur Searout, il est raisonnable de penser, à rajouter, dans certaines conditions, 10 nœuds, à la valeur du vent.
Je rajoute que nous avons globalement longer la bordure Ouest de la zone rouge du dessin ci dessous, et que nous n’avons pas réellement observer de diminution notable de la force du vent. Suivant les cas, cette zone peut être amenée à évoluer.
Les hauts fonds passant de 2000 M à 150 M à l’arrivée sur les îles Canaries sont à prendre en compte aussi, générant une houle amplifiée, permettant d’imaginer de passer par l’ouest de la Graciosa pour atterrir.
Il est probable aussi que le cyclone passé sur les Acores cette semaine ait généré une houle plus haute et importante que d’habitude.
CQFD
Le récit de vos différentes aventures sont extraordinaires. L’écriture de celles ci se veut très visuelle . Waouh quelle frayeur ces traversées de nuit ! Hâte de lire la suite . Vero
Bonsoir Vero
On essaye de transmettre au mieux notre vécu !
On apprends et on se remets en question tous les jours sur les choix à prendre et l’orientation à donner à notre voyage familial et ceci à tous les niveaux : voile, rencontre, découverte etc.
Pas si simple mais passionnant et déjà enrichissant pour nous 4
Je n’en doute pas un seul instant que ce ne doit pas être toujours simple . Extraordinaire aventure familiale et humaine . Vous avez la tête sur les épaules et n’ai aucun doute sur les prises de décisions tant pour vous que pour les enfants . Vous avez l’avantage d avoir déjà navigué et pas mal voyagé ça aide . Vous êtes radieux tous les 4 …bonne continuation et hâte de vous lire à nouveau
Nous sommes bien d’accord! Les traversées sont vraiment difficiles! Apparement on s’habitue après 5 ou 6 jours.
Nous sommes contents que vous alliez bien. Merci de nous faire rêver avec vos superbes postes!
Pensons bien à vous.
Bisous à tous les 4 du Cap Vert.
Johanne