L’État de Paraíba, l’un des plus petits du Brésil, offre un paysage extrêmement varié. Sa côte, particulièrement prisée par les touristes brésiliens pour ses plages et sa mangrove, rivalise de beauté avec l’intérieur des terres. Impossible pour nous de passer à côté.
Nous nous sommes concoctés un périple de 6 jours pour découvrir ses trésors cachés. Notre échappée de près de 1500 km nous a offert une palette de paysages incroyables.
Au fur et à mesure que nous nous dirigeons vers l’intérieur du Paraíba, le climat devient plus sec et le paysage change radicalement. Au sortir de Joao Pessoa, nous traversons des zones de cultures en plaine avec des Fazeda (sorte de Ranchs qui nous font penser à ceux des Etats Unis), des forêts denses et verdoyantes masquant l’horizon. Les routes sont rectilignes. Aux abords des villages traversés, des ralentisseurs énormes nous obligent à rouler au pas. L’habitat est simple, et les bords de rues grouillent de vie. Tayro qui fait partie du voyage découvre le transport en voiture.
Après 4 heures de route, et un bon repas, nous hésitons à prendre la route indiquée par notre GPS. En place et lieu d’une route goudronnée : un chemin de terre. Il longe une route en construction, mais à partir d’ici les pistes sont La norme. Nous embouquons donc les 35 kms de pistes, parfois défoncées, traversant des fermes avant d’atteindre notre objectif : le Lajedo de Mai Mateus. L’exploitation touristique y est privée. Il est 16h00, l’idéal pour admirer cette pépite au crépuscule.
Splendeur des géoformes de Lajedo de Pai Mateus
Le Lajedo de Pai Mateus est un plateau rocheux d’environ 1,5 km2. Il est constitué d’une centaine d’énormes blocs de pierres aux formes arrondies, pouvant peser jusqu’à 45 tonnes, qui se détachent du sol légèrement convexe composé de granit et de gneiss.
Cette formation rocheuse exceptionnelle, résulte de l’érosion du sol sur des millions d’années. C’est l’alternance de périodes de climats plus humides permettant l’altération chimique de la roche en sous-sol (dissolution, pourriture de la roche), avec des cycles climats plus secs, (impliquant l’enlèvement des roches altérées), qui a laissé ces gros blocs rocheux dans le paysage.
Evidemment, Le Lajedo de Pai Matheus, un peu surréaliste, a toujours été un lieu mystique dans le O Sertao. Sur certaines pierres se trouvent des peintures rupestres (très altérées) attribuées aux Indiens Cariris, qui vivaient dans la région il y a environ 12 mille ans.
La légende raconte que Pai Mateus serait un ermite guérisseur qui a vécu dans cette région vers le XVIIIe siècle. Les habitants venaient le consulter et lui offrait en échange de la nourriture. Il s’était aménagé une des plus grandes formations. Charles s’imagine une vie en totale autarcie.
Nous déambulons sur le site, émerveillés, slalomant entre les blocs. Au sol nous observons des canaux bien marqués, disposés parallèlement du sommet à la base du bloc granitique. Appelés Karrens, ils sont caractéristiques du processus d’érosion.
L’un des blocs les plus célèbres est la Pedra do Capacete, pour sa forme particulière appelée Tafone. L’érosion consomme le bloc de granit par l’intérieur de sa base vers le haut. Par dilatation, le bloc casse et rend la cavité accessible. Nous constatons avec émotion, que le processus d’érosion est toujours en cours : la roche s’effrite au toucher.
Alors que le soleil se couche à l’horizon, notre guide, nous mène vers un bloc un peu particulier, la pierre qui sonne. Nous sommes médusés ! Une cloche naturelle.
Il fait nuit, nous mettrons un temps fou à rejoindre notre Pousada dans le dédale de pistes, mais le jeu en valait la chandelle. Le lieu est magique et l’accueil de Samuel, le gérant est exceptionnel.
Saca de là
Départ 8 heures pour cette deuxième journée dans l’ancien territoire des indiens Cariri, avec la découverte des formations rocheuses de Saca de Lã, une autre pépite géologique du O Sertao, à seulement deux pas du Lajedo de Pai Matheus.
Cette formation en blocs superposés sur près de 30 mètres est unique (on en trouve d’équivalentes, seulement en Namibie et en Australie). Difficile d’imaginer qu’à l’origine c’était un bloc de pierre d’un seul tenant ! Au fil des cycles d’érosion et des crues de la rivière à son pied, les blocs se sont fissurés, érodés, façonnés. Saca de Lã, tire d’ailleurs son nom de sa ressemblance avec les énormes “balles de coton” cultivées jusque dans les années 1970 dans la région.
Notre guide Amilton vit dans la région depuis 7 générations. Il la connait comme sa poche. Passionné, il ne s’arrête pas qu’aux explications géologiques du site mais nous fait tester un anesthésiant naturel et nous fait chanter les cactus…Nous découvrons qu’une bonne partie de la région, est sujette à de longues périodes de sécheresse. Elle s’apparente au désert, même si de grosses précipitations ayant eu lieu il y a quelques semaines, nous offrent un paysage verdoyant, inhabituel. Ici la sécheresse qui a sévi pendant 6 ans, a décimé les grands prédateurs (renards). Les rongeurs, ont survécu car ils savaient se désaltérer avec les cactus omniprésents. Amilton nous fait part de ses inquiétudes sur la prolifération des rongeurs qui se sont attaqués aux feuilles des arbres centenaires de la région, les vouant à une mort certaine. Le désert avance… Il nous fait goûter du cactus taillé à la machette. Ça ressemble un peu au concombre.
Sur le retour nous découvrons un ancien lieu d’habitation des indiens Cariri. Entre des blocs de pierre se trouve une grotte magnifique où le soleil rentre de manière sporadique mais magique. Un studio de photo incroyable.
Encore une superbe découverte que nous partageons avec les touristes rencontrés lors de la visite, autour d’un repas local, préparé par la maman d’Amilton. Décidement, l’intérieur du Paraíba nous plaît énormément, le Brésil aux multiples facettes nous gagne.
Cours de cuisine avec le Chef de la Pousada Matuto Sonhador.
Ce soir dans notre Pousada « Matuto Sonhador », simple et authentique, c’est un cours de cuisine pour une paella régionale de derrière les fagots…avec Samuel le gérant. Fans du bien manger, nous échangeons depuis 2 jours, sur notre passion commune. Sa maxime, « La cuisine, c’est de la poésie à déguster », est inscrite sur le mur.
Voilà notre chef Samuel en pleine production, me livrant les secrets de sa recette de Paella Nordestina, en toute humilité (nous apprendrons qu’elle a fait l’objet d’un reportage TV, voir lien ci-dessous). Encore une belle expérience, preuve, s’il en fallait, que la cuisine est un formidable vecteur de partage et de rencontres.Décidemment, ce territoire Cariri nous laisse sans voix, mélange de géologie, d’histoire, de nature exubérante, de terre vierge et d’hommes…
Pedra Da Boca, à la frontière de l’état du Paraíba.
C’est la surprise que nous réservions aux enfants. Un lieu monumental. Des éperons rocheux abruptes, s’élevant à plus de 300 mètres au-dessus d’une palmeraie verdoyante et sa rivière, frontière naturelle entre le Paraíba et le Rio Grande do Norte
Notre Pousada Spazio Da Predra est juste idéalement située, au pied de l’emblématique Pédra da Boca, littéralement traduite par la « pierre à la bouche ». Eder et son équipe nous réservent un accueil de ministre, mettant tout en œuvre pour nous apporter le meilleur service malgré la barrière de la langue.
Au programme ce matin, petite randonnée vers le « Rocher à la tête » où l’on croise des petites bébêtes dans un environnement magnifique. Écoutez au passage la nature.
Super restaurant le midi, où les cuisines sont ouvertes aux clients. Un cadre exceptionnel à ne pas manquer à quelques centaines de mètres du parc.
Nous finissons notre journée avec une bonne dose d’adrénaline : une tyrolienne de 500 mètres sur 100 mètres de dénivelé ! Charles assure un max ! Les guides sont au top !
Nous y rencontrons le gérant qui a vécu en Europe pendant une dizaine d’année et parle un anglais parfait. Il nous invite à passer voir sa Poussada « Fula da Pedra », une auberge rurale située à deux pas. Nous le rejoignons pour une soirée autour de la traditionnelle flambée et échangeons avec bonheur sur le Brésil en sa compagnie.
Ascension de la Pedra da Boca
D+ 400 m. Une montée raide, un panorama de ouf !! Les images se suffisent à elles-mêmes. Un grand merci à Pierre, le fils de Francis (associé de Nicolas et fondateur de la Marina Jacare, décédé trop tôt voici 2 ans) pour le partage de sa vidéo exceptionnelle sur La Pedra Da Boca.
Camille, qui n’a pu profiter de la tyrolienne hier, s’éclate dans le pendule qui la propulse au-dessus du vide. Charles enchaine, un peu plus sur ces gardes.
Fin de journée détente au pied de la Pedra
Areia, page culturelle et historique
Nous repartons sur les routes de cet étonnant état du Paraíba pour une découverte un peu plus culturelle et historique, direction la ville de Areia. Surnommée la « princesse du Brejo », en référence à la rivière toute proche, elle est perchée sur la serra de Borvorema qui surplombe les marais de Paraíba. Nous apprécions, les températures tempérées que lui procurent ses 600 mètres d’altitude. Ici, on dépasse rarement les 25°C en pleine saison sèche, alors qu’en hiver les thermomètres avoisinent les 10 degrés. Il faut dire que depuis notre arrivée au Brésil, nous avons du mal avec la chaleur moite qui nous ramollis. Il fait couramment 30 à 35 degré dans le bateau. Nous songeons à l’installation de mini ventilo dans les cabines et avons fait réalisé un taud du roof type canopée pour gagner quelques degrés et agrandir un peu l’espace de vie au mouillage.
Mais revenons-en à nos moutons.
Si nous avons choisi de clôturer notre tour du Paraiba par cette jolie cité, c’est parce qu’elle a marqué le processus du peuplement de l’intérieur de l’état. Fin du XVIIe, à l’endroit où se dresse la ville, un portugais eu l’idée d’ouvrir, à l’écart des routes commerciales fréquentées, une auberge pour les bouviers et tropeiros de l’arrière-pays venus vendre leur productions sur la côte, y formant en peu de temps un village prospère. Les colons s’y implantent pour exploiter la canne à sucre encore largement présente dans les paysages alentours.
Employés aux travaux des champs, ou dans les fermes, les esclaves participent également à la construction de nombreux édifices d’architecture coloniale toujours visibles. Nous sommes lundi et malheureusement nous ne pourrons visiter le manoir de José Rufino de Almeida. Construit en 1818, il est reconnu comme abritant le seul quartier d’esclaves urbain dans tout le Paraiba. Le bâtiment conserve en effet l’architecture d’origine, avec à son rez de chaussée le commerce (soie, tabac à rouler) ; au premier étage l’habitat de la famille portugaise ; sur l’arrière, les quartiers des esclaves (12 cabines de 2.4 mètre sur 2.4 chacune abritant 8 à 12 hommes et femmes noirs) et enfin le pilori où les noirs étaient punis de tortures pour servir d’exemple aux autres.
Les colons ont créé une véritable industrie du sucre avec la fabrication de cassonade, du sucre roux et des distilleries nécessaires à l’élaboration de la fameuse Cachaça. Rien qu’à Areia, plus de 100 moulins sont en activité entre le milieu du XIXe et la fin du XXe siècle. La cité a grandi, mais les mouvements abolitionnistes prennent de l’ampleur tout particulièrement dans la cité. A la grande fiereté de ses habitants, les planteurs sont contraints de libérer les esclaves 10 jours avant la légalisation de la loi d’or le 3 mai 1888.
Nous visitons l’Engenho da Cachaça Triumfo. Contrairement au rhum industriel, fabriqué à base de mélasse de canne à sucre, la Cachaça est issue de son jus (très sucré et herbeux). Les saveurs varient ensuite en fonction du temps passé dans les futs et selon l’essence du bois utilisé pour leur confection (umburana et jequitibà).
Nous visitons le théâtre Minerva, le plus ancien de l’état. De style baroque, il a été inauguré en 1859. Son architecture et ses célèbres boiseries reflètent l’âge d’or de la région, époque où de grandes compagnies européennes se produisaient sur sa scène à la plus grande satisfaction des planteurs. Un grand merci à son gardien, qui a tout fait pour nous faire découvrir les dessous du décor.Devenue une cité, elle a été le théâtre de nombreux mouvements politiques du XIXe siècle et notamment dans les mouvements abolitionnistes. Aujourd’hui, ses habitants sont fiers de revendiquer la libération des esclaves dix jours avant la légalisation de la loi d’or le 3 mai 1888.
Le centre-ville de la cité est très animé, quand nous traversons sa grande place, ce dimanche soir. Tout autour des maisons colorées, des ruelles pavées, donnent un charme fou à nos balades.
Réflexions sur la route du retour vers la marina.Depuis notre arrivée, nous sommes frappés de voir autant d’églises sur les routes que nous empruntons. Si le Brésil est l’un de plus grands pays catholique au monde, certaines sectes et l’église évangéliste commencent à prendre la place de l’église catholique (passée de mode). Ici, le brassage des populations a été considérable, les religions ont suivi le métissage des couleurs de peaux. Chaque individu arrivant avec ses croyances, il existe un syncrétisme surprenant, ne permettant pas de comptabiliser le nombre de religions existantes. D’aucun dirons également, que ce foisonnement est un véritable commerce exploitant la crédulité des populations.
Autre élément de surprise pendant notre traversée du Paraiba : nous passons facilement pour des touristes brésiliens. Stéphane se fond dans le décor (tant qu’il n’a pas besoin de parler). Cela s’explique par le métissage des populations qui constituent le Brésil. Les brésiliens sont originaires du mélange entre Indiens (population native), Européens (les colonisateurs) et Noirs Africains (venus pendant l’époque de l’esclavage). Chaque métissage possède d’ailleurs son nom propre (« Caboclo ou Mameluco » : mélange Blanc /Indien. « Mulato » : Blanc / Noir. « Cafuso » : mélange Indien / Noir).
La « cerise » d’Inga sur le gâteau
Nous nous arrêtons à Pedra da Inga. Par chance, le gardien du site (fermé le lundi), nous autorise à y rentrer. Encore une fois la gentillesse des habitants du Paraíba nous touche. Il est vrai que les touristes étrangers sont très peu nombreux, surtout une famille en bateau accompagnée de son chat bengal !
La pierre d’Inga est un ensemble de pétroglyphes sur basalte situé dans le lit d’une rivière. La plus grande roche qui le compose fait 24 mètres de long pour trois mètres de haut et est gravée de symboles et de glyphes qui, bien que remarquables et spectaculaires, ne sont pas déchiffrés à ce jour. L’endroit est émouvant, d’autant que la nature reprend ses droits, effaçant à tout jamais une partie de ce mystère.
Ces 6 jours dans l’arrière-pays du Paraiba nous ont laissés des images plein les yeux, des saveurs nouvelles, des souvenirs de rencontres exceptionnelles. Mais il est temps pour nous de rejoindre la marina. Nous quittons la Marina Jacare mardi 14 mars pour reprendre la mer et longer la côte brésilienne jusqu’à la Guyane. Environ 1500 miles nous séparent des Iles du Salut et de son Bagne.
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